Alda TEODORANI
Mis en ligne adminSep 19
Les années 80 virent l’essor d’une littérature de l’extrême, avec un traitement de l’horreur sans concession, parfois sous influence directe du cinéma le plus effroyable. On parla de spatterpunk aux U.S.A, de gore en France (avec la célèbre collection du même nom) et de Néo-Noir en Italie. Nombre d’auteurs se déchaînèrent en mêlant sexe et violence afin de choquer des lecteurs blasés qui ne demandaient pas mieux.
Parfois fantastiques, ces oeuvres traitèrent aussi du fait-divers et du tueur en série de la façon la plus explicite possible. On peut citer American Psycho de Brett Easton Ellis et ses scènes pornos ou gore.
L’Italie , qui cultivait une longue tradition de l’horreur au cinéma, en B.D et dans une moindre mesure en littérature , ne fut pas en reste. Le début des années 90 fut marqué par la naissance sanglante d’une revue de B.D désormais culte, Splatter, qui alla encore plus loin dans le gore que le fumetto à succès Dylan Dog, pourtant pas en reste à l’époque. Scénariste pour Splatter, l’écrivaine Alda Teodorani trouva la consécration dès ses premières armes en littérature avec l’ultra violent Radici del Male, une sorte de réponse européenne, infiniment moins bavarde, à American Psycho.
On n’imagine pas aujourd’hui, alors qu’il est republié par Mondadori, combien ce roman glaçant put choquer à l’époque. Il est assurément une date dans l’histoire de la littérature horrifique italienne, tout comme le recueil Jeunesse Cannibale (traduit chez Naturellement), auquel participa aussi Alda Teodorani. Il n’y a pas de hasard.
Teodorani fut à l’origine des mouvements littéraires connus sous les noms de Groupe 13 et Neo-Noir. Le Neo-Noir, et Alda Teodorani, ont adopté volontairement le « point de vue de Cain », la vision subjective, tout droit sortie d’un DarioArgento, de l’assassin, et non celle de l’enquêteur. Alda Teodorani a supprimé l’intrigue policière de ses psycho-thrillers féroces pour n’en conserver que la substantifique moelle : le sang, le sexe, la mort, la souffrance. La folie et le désespoir. Même si, bien souvent, il y est surtout question d’amour.
Fort injustement, et malgré deux traductions chez Naturellement, la Reine de l’Horreur italienne, n’est pas encore très connue en France. Le dictionnaire de Claude Mesplède ne l’évoque même pas (espérons que ce n’est pas le cas de sa version italienne !). Et pourtant, on connaît le Groupe 13, sans que son nom y soit jamais associé, et des écrivains comme Carlo Lucarelli rencontrent aussi le succès de ce côté-ci des Alpes.
On peut se demander pourquoi Alda Teodorani reste encore à découvrir en France alors que nombre de ses collègues du polar bénéficient d’une présence dans des collections prestigieuses.
Peut-être les causes sont-elles multiples. En Italie, Alda Teodorani a été longtemps publiée chez des éditeurs à petit tirage, même si elle est aujourd’hui éditée par Mondadori. Un choix d’indépendance qu’elle assume pleinement et qui lui a permis de braver les interdits à travers des écrits qui vont infiniment plus loin dans la violence que chez des auteurs plus consensuels, et donc plus à même de séduire les masses.
La littérature de Alda Teodorani, qui tient plus de l’horreur pure que du thriller, n’est définitivement pas pour les âmes sensibles. « Les charmes de l’horreur ne tentent que les forts ». En Italie, Teodorani est un auteur culte, fort d’une horde d’admirateurs fidèles, enthousiastes et éclairés.
En d’autres termes, il est plus facile pour un éditeur de traduire Lucarelli que Teodorani. Le choix est moins risqué, plus susceptible d’attirer un large public. Peut-être aussi parce que la prose de l’auteure italienne est au carrefour de genres différents, qu’elle aime à mêler pour les réinventer.
De plus, Alda Teodorani est avant tout une nouvelliste hors pair, un genre littéraire exigeant et nettement moins vendeur que le roman. En cette époque où l’on vend des gros thrillers comme des petits pains, Alda a choisi de faire court. Même des romans comme Radici del Male ou Organi sont en fait des recueils de novellas ou de nouvelles…
C’est aussi cette maîtrise fatale de la forme courte qui donne une telle force, une véritable puissance de feu, aux écrits de la « Dark Lady » italienne, comme l’ont volontiers surnommée les critiques (écrivain tueuse en série, elle est souvent l’héroïne négative de ses histoires, à tel point qu’on peut parler d’auto-fiction horrifique !). En quelques pages, on ne peut pas faire dans l’approximation. Pas de bavardage, pas de digressions inutiles, pas de remplissage. On doit frapper fort et juste, aussi rapidement qu’un assassin de Dario Argento le ferait.
Dario Argento qui a dit que les écrits d’Alda étaient comme ses pires cauchemars. A leur lecture, on comprend vite que c’est la vérité.
Alda Teodorani, c’est Georgio Scerbanenco pour la noirceur et la beauté du verbe, William Irish pour l’amour des ténèbres, mais aussi Lucio Fulci ou Joe d’Amato pour le hardgore sans retenue. On a parlé d’écriture cinématographique à son propos. C’est indéniable – l’amour de l’auteure pour le cinéma est palpable dans des romans (courts) comme Belve/Cruau tés ou Incubi, même si son oeuvre est profondément littéraire et toujours d’une rare élégance. Même pour décrire les pires perversions et les massacres les plus effroyables.
Alda Teodorani, ou la beauté de l’horreur. La beauté du diable, la beauté du Mal.
(by Patryck Ficini)
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